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Société d'histoire

Cultivateurs et artisans

Delvida Daoust et ses melons de Montréal

Par Jonathan Buisson - mars 2024

L'histoire agricole de Montréal est riche en traditions et en héritage, notamment avec des produits emblématiques tels que le melon de Montréal. Dans des quartiers comme Côte-des-Neiges, des familles telles que celle de Delvida Daoust (photo) ont contribué à la renommée de ce fruit à la chair verte et juteuse (image). Plongeons dans le récit captivant de la culture et de la propagation de ce trésor local, témoignant du lien intime entre l'agriculture et l'identité de la métropole québécoise.

La Côte-des-Neiges possédait des terres reconnues parmi les plus fertiles de Montréal. Il était donc naturel d'y retrouver de magnifiques récoltes de fruits et légumes en abondance. Parmi les multiples variétés de fruits cultivées, un fruit se démarquait des autres et a su se tailler une place de choix dans les assiettes de nos voisins du sud : le melon de Montréal. Malheureusement, ce fruit est aujourd'hui oublié et très peu cultivé, ayant disparu des catalogues de semences au profit de variétés de melon de dimensions plus modestes.

De nos jours, très peu de gens ont goûté à la chair verte de ce mythique melon. Malgré la découverte de semences oubliées dans une banque aux États-Unis, sa production à petite échelle n'a pas encore permis de voir ce type de melon sur les présentoirs de nos épiceries. Cependant, grâce aux efforts combinés de certains passionnés de petite production, des avancées ont été réalisées pour redécouvrir ces melons oubliés.

Après plusieurs tentatives pour susciter l'intérêt des gens pour ce produit, il semble qu’en 2024, plusieurs initiatives veulent faire revivre cet emblème de Montréal qui faisait sa renommée il y a plus de 100 ans.

Le melon de Montréal a été développé par la famille Décarie à Notre-Dame-de-Grâce (photo). Sa culture s'est rapidement répandue dans les quartiers avoisinants situés aux abords du mont Royal. À Côte-des-Neiges, entre autres, il était cultivé principalement dans la partie nord du chemin de la Côte-des-Neiges, à partir du chemin de la Côte-Sainte-Catherine.

Sa propagation dans la Côte-des-Neiges est vraisemblablement liée au fait que les travailleurs des fermes Décarie étaient dotés de connaissances en culture et qu'ils rapportaient des semences dans le quartier pour y cultiver ce fameux melon.

Lors de la saison des récoltes, ces travailleurs faisaient à leur tour une sélection de semences issues de spécimens choisis selon des critères précis, ceux-là mêmes qui conféraient aux melons leur particularité distinctive.

À l’époque où le territoire de la Côte-des-Neiges s'étendait sur une plus grande superficie dans sa partie nord, certaines terres s'étendaient presque jusqu’au boulevard Métropolitain actuel. C'était le cas pour la terre de Delvida Daoust, l'un des premiers producteurs de melons de Montréal dans la Côte-des-Neiges. Sa terre se trouvait en fait dans la partie nord de la côte, sur le territoire qui s’appelait alors Notre-Dame-des-Neiges Ouest. Sur ces vastes terres, il cultivait, entre autres, le melon de Montréal, au début du 20e siècle, ainsi que plusieurs variétés de légumes. Il remportait souvent des concours d’agriculture, comme en témoigne la photo jointe, avec d’immenses pieds de céleri.

La présence des sculptures de melon au cœur de Ville Mont-Royal ajoute une touche artistique à cette histoire, soulignant l'importance culturelle et symbolique de ce fruit emblématique de la région. En célébrant le passé tout en regardant vers l'avenir, nous honorons non seulement le travail acharné et la passion de Delvida Daoust et de sa famille, mais aussi l'héritage agricole précieux qui fait partie intégrante de l'identité de Montréal.

Ce cultivateur était déterminé à mener à bien son entreprise agricole pour fournir des légumes de qualité, grâce à son savoir-faire et à son dévouement, notamment pour le melon, reconnu pour sa complexité à cultiver. Un soin particulier était nécessaire de la semence au melon juteux, sur une période de six mois. Delvida Daoust était un artisan talentueux, dont la renommée dans la Côte-des-Neiges était liée à ses emblématiques melons. Il a été le dernier à en cultiver.

La ferme Daoust se trouvait sur le chemin Lucerne. Elle a été intégrée à Ville Mont-Royal au fil du temps, à la suite des différents remaniements de territoires dans cette région. Dans les années 1950, avec l'essor de Montréal, les champs des Daoust et d'autres maraîchers de la région ont disparu et des immeubles y ont rapidement été érigés. La vénérable maison de ferme en pierre où ont grandi les 11 enfants de Delvida Daoust a été rasée en 1951 ; elle avait été construite au début du 18e siècle. Ses pierres ont été utilisées pour construire le muret de soutènement à l’angle du chemin de la Côte-des-Neiges et de l’avenue Cedar, près de l’Hôpital général de Montréal. Tel que mentionné dans un article de L'actualité, la croix de chemin plantée par les Daoust près de chez eux a été déplacée rue Jean-Talon, près du chemin Lucerne, où la famille possédait, par bail emphytéotique, quelques mètres carrés d’un terrain appartenant à Hydro-Québec.

Aujourd'hui, très peu de traces de cette époque subsistent, si ce n'est le minuscule parc Delvida-Daoust (photo), situé sur le chemin Lucerne, qui honore la mémoire du dernier fermier de Ville Mont-Royal. La croix de chemin Daoust Fortier reste à ce jour le symbole le plus évocateur de cette ferme oubliée. De plus, tel que mentionné dans Le journall de Montréal, des sculptures de melon en métal (photo) trônent sur la Place du centenaire, au centre de Ville Mont-Royal, rappelant ainsi l'importance historique de ce fruit emblématique de la région.

L'histoire de Delvida Daoust et de ses melons de Montréal illustre parfaitement l'essence même de l'agriculture traditionnelle et de l'héritage familial profondément enraciné dans la culture de Montréal. Le melon de Montréal représente bien plus qu'un simple fruit ; il incarne un symbole de fierté et de savoir-faire ancestral. Malgré les défis rencontrés au fil du temps et l'évolution rapide de la ville, le souvenir de Delvida Daoust et de sa ferme demeure vivant grâce à des hommages tels que le minuscule parc Delvida-Daoust et la croix de chemin Daoust Fortier (photo). Ces témoins silencieux rappellent l'importance historique de cette époque agricole, témoignant de l'engagement et du dévouement de ceux qui ont contribué à façonner le paysage agricole de Montréal.

 

 

Sources :

Journal de Montréal ; 4 septembre 2020 ; Albert Mondor                                              

L’actualité ; 22 octobre 2012 ; George-Hébert Germain

 

L'histoire de la croix de chemin Fortier-Daoust 

Par Sylvain Rousseau - 8 avril 2024

Comme on peut le constater sur les photos prises par Monique Larose, membre de la Société d’histoire, les grands vents de la dernière fin de semaine de février ont eu raison de la croix de chemin Fortier-Daoust, située sur le boulevard Jean-Talon Ouest, près du chemin Lucerne. Heureusement, la famille Daoust a récupéré les morceaux et compte encore une fois la remettre sur pieds.

Ce n’est pas la première fois que cette croix de chemin tombe, mais chaque fois, la famille Daoust l’a relevée, comme on peut le constater avec le nombre de réfections indiqué sur l’écriteau (1950, 1971 et 1983). La dernière fois qu’elle a été remise en place, c’est en 2015 (photo de G. Arbour).  

L’emplacement

Cette croix typique du milieu agricole de la région de Montréal est aujourd’hui située dans un environnement urbain, sur la rue Jean-Talon Ouest (photo de G. Arbour). Cette croix, par la pureté de sa blancheur et par ses touches de rouge vif, nous apparaît telle une jolie fleur cultivée au milieu du bitume, dans un jardin hétéroclite de structures d’acier. Difficile d’imaginer qu’il y avait une ferme à cet endroit, il y a moins de cent ans.

Souvent, on plaçait une croix de chemin à un carrefour éloigné des églises pour permettre aux cultivateurs et travailleurs de se recueillir près de leur lieu de travail. L’endroit était approprié pour demander la protection contre les fléaux naturels et les incendies. On y faisait aussi la prière du soir et on y célébrait le mois de Marie en mai. 

L’emplacement de cette croix se trouve dans un lieu stratégique entre le chemin de la Côte-des-Neiges et le chemin Lucerne. En effet, ces rues ont toujours formé un axe routier important entre le centre-ville et Ville Saint-Laurent. À l’origine, cet emplacement, pointé par une flèche blanche sur la carte de 1879, se trouvait entre l’église de Saint-Laurent (1732) et la chapelle Notre-Dame-des-Neiges (1814). La croix de chemin a été érigée vers 1900. À partir de 1910, elle fera partie de la paroisse Saint-Pascal-Baylon dont l’église se trouve à proximité sur le chemin de la Côte-des-Neiges.

Au début du 20e siècle, lorsque la croix fut érigée, il y avait déjà pas mal d’activité dans le secteur. En effet, à partir de 1887, la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique avait permis la mise en place d’une gare, située près du chemin de la Côte-des-Neiges (carte de 1940). On pouvait ainsi ravitailler tout le secteur en charbon, en bois et en grains. C’est ainsi que progressivement les terres furent remplacées par des entrepôts et des usines et que les cultivateurs furent remplacés par des ouvriers.

 

Les cultivateurs et artisans

La famille Fortier de Ville Saint-Laurent avait des terres dans la Côte-des-Neiges le long du chemin de fer. Louis Fortier dont on peut voir le nom sur la carte de 1879 a été un des premiers de la famille à s’y installer. La terre où se trouve la croix a déjà appartenu à Victor Fortier, puis à la famille Daoust. Le cultivateur Ovilda Belisle y louait une ferme (photo). Nous avons retracé qu'en 1911, un bail a été signé pour la location de la terre de Victor Fortier par Ovilda Belisle (notaire Eustache Prud'homme).

La photo a été prise juste à l’ouest du chemin Lucerne, à deux pas de la croix de chemin dont l’emplacement se situerait à gauche sur la photo. Les deux personnages de la photo se trouveraient donc aujourd’hui devant le concessionnaire Ferrari du boulevard Jean-Talon.

Dans les années 1940, la famille Daoust vendit la terre où se trouve la croix à Hydro-Québec, mais elle obtint de cette société un bail emphytéotique pour la partie du terrain où la croix était érigée, et ce, pour une durée de 99 ans. La Société Saint-Vincent-de-Paul de la paroisse Saint-Pascal-Baylon prit alors en charge la location.

Delvida Daoust (photo), maraîcher et célèbre cultivateur du melon de Montréal, épousa la cousine de Victor Fortier en 1913. C’est Roger Daoust (1929-2013) (photo), le fils de Delvida Daoust et de Marie-Louise Fortier qui fut un artisan de cette croix de chemin en lui prodiguant les soins nécessaires et en effectuant sa réfection en 1950, 1971 et 1983 (photo). 

La dernière réfection de 2015 fut réalisée par Pierre et Benoît Caron. En effet, entre 2011 et 2015, des travaux exécutés sur le terrain d’Hydro-Québec ont nécessité le déplacement de la croix. Elle fut déménagée sur un autre terrain d’Hydro-Québec, sur la rue Hodge, à Ville Saint-Laurent et des travaux de restauration de la croix ont été effectués sur place (photos). La traverse a toutefois exigé du travail en atelier.

Chaque fois, on annonça la disparition de la croix, mais chaque fois des artisans firent en sorte qu’une croix de chemin encore plus belle puisse retourner à son emplacement d’origine. La croix de chemin Fortier-Daoust demeure à ce jour le symbole le plus évocateur de cette ferme oubliée. Espérons que la famille Daoust pourra encore une fois trouver des artisans pour la restaurer et la remettre sur pied.

Les croix de chemin du Québec

Parmi les 3000 croix de chemin qui existent encore au Québec, la croix de chemin Fortier-Daoust est certes particulière par sa localisation et par son environnement actuel, mais aussi par son histoire. Comme disait E.Z. Massicotte qui étudia de près les croix de chemin du Québec : « Les croix de chemin, dont la présence le long des routes donne à notre patrie un cachet particulier, rappellent en bien des cas des pages d’histoire. »

Entre 1922 et 1925, E.Z. Massicotte, par ses inventaires et ses écrits, sensibilisa les Québécois à l’importance de préserver leurs croix de chemin, ce qui permettra de les voir comme un objet à la fois religieux et patrimonial, en soulignant leurs dimensions artistique et culturelle.  C’est probablement sous cette impulsion que la Société Saint-Jean-Baptiste élèvera la croix du mont Royal en 1924 et que la croix de chemin sera le sujet d’un char allégorique dans la procession de la Saint-Jean-Baptiste en 1925, organisée, entre autres, par E. Z. Massicotte (image). 

Entre 1972 et 1979, des recherches menées par Jean Simard de l’Université Laval identifièrent les croix de chemin comme un patrimoine méprisé. Ce sentiment fut bien exprimé à travers ce poème écrit par Camille des Ormes (Érudit) :

« Elles étaient nombreuses, autrefois, ces croix du chemin

Leurs mines majestueuses semblaient ouvrir les bras aux passants

C’était une marque de foi, venue des gens de France…

Aujourd’hui, on a oublié ces croix du chemin

Comme un être blessé, elles attirent la pitié… »

Lors de mes récentes recherches sur les croix de chemin du Québec, j’ai découvert avec bonheur que, cent ans plus tard, plusieurs personnes comme Gérald Arbour suivent les traces de mon arrière-grand-père E. Z. Massicotte en prenant en photo et en faisant l'inventaire de nos croix de chemin.  Gérald Arbour, co-auteur d’un livre sur les ponts couverts du Québec (photo), parcourt le Québec et participe à un blogue ainsi qu'à l'inventaire des croix de chemin maintenu à jour et disponible sur le site « Les croix de chemin du Québec - un patrimoine à découvrir  ».    

La symbolique religieuse

Tout comme la plupart des croix de chemin des terres agricoles de la région de Montréal, la croix de chemin Fortier-Daoust est une croix de type « instruments de la Passion », ce qui signifie qu’elle représente plusieurs symboles de l’ensemble des événements reliés à la mort de Jésus.

Sur la photo du haut de la croix, prise par G. Arbour en 2015, on peut voir au sommet un coq, qui a été fabriqué par Pierre Ramet, ancien président de la Société d’histoire de la Côte-des-Neiges. Le coq symbolise le jour de la résurrection, mais aussi, par son chant, le reniement du disciple Pierre après l’arrestation de Jésus. Le cœur, au centre de la croix, symbolise la vie de Jésus-Christ qui a été sacrifiée. Autour du cœur, on observe la couronne d’épines peinte en rouge pour représenter la souffrance et le sang du Christ. Le soleil blanc aux pointes rouges rappelle le jour de la résurrection, mais aussi l’éclipse solaire qui, selon un des évangiles, aurait eu lieu à la suite du décès de Jésus.

Au bas de la croix, on peut voir une niche avec la vierge Marie (photo). Celle-ci est souvent représentée sur ce type de croix, car elle a accompagné son fils sur le chemin de la croix et a entendu ses dernières paroles. Dans ce cas-ci, la croix de chemin a été érigée à l’origine sur le territoire du village Notre-Dame-des-Neiges Ouest. On peut donc imaginer qu’on veuille y représenter Notre-Dame-des-Neiges en qui Marguerite Bourgeois avait une grande dévotion.

L’importance de préserver les emblèmes de notre patrimoine

Parmi les emblèmes du patrimoine de la Côte-des-Neiges, la croix de chemin Fortier-Daoust occupe une place importante. Tout comme la maison Simon-Lacombe à l’entrée secondaire du cimetière Notre-Dame-des-Neiges et la caserne 27 de l’avenue Gatineau, cette croix de chemin a été condamnée à disparaître, mais, à maintes reprises, des citoyens se sont levés pour préserver ces éléments de notre patrimoine.

On constate que les croix de bois ne restent jamais debout plus de 20 ou 25 ans, malgré le soin qu’on leur porte.  Elles sont généralement hautes (20 pieds en moyenne), donc vulnérables au vent et leur structure de bois s’affaiblit avec l’usure causée par les intempéries. Avec le temps, les croix deviennent fragiles et, comme leur histoire, elles peuvent s’effacer facilement si on ne leur porte pas une attention particulière.

Avec la maison de Calixte Roy de l’avenue Kent et la maison Goyer de la rue Bedford, qu’il faut mentionner dans ce secteur, cette croix est un des derniers symboles de la ruralité de la Côte-des-Neiges. Dans tous ces cas, ce sont leurs propriétaires, des familles pionnières de la Côte-des-Neiges, qui en ont assuré la préservation pour le bonheur de toute la communauté.          

Lorsque cette croix de chemin retrouvera de nouveau sa place, vous ne verrez peut-être pas beaucoup de cultivateurs ou d’ouvriers venir s’y recueillir (photo) pour protéger leur récolte ou empêcher que leur usine soit incendiée, mais vous verrez certainement beaucoup de passants, le plus souvent en voiture dans le trafic, qui, grâce aux efforts d’une famille fière de son passé, pourront constater que la préservation du patrimoine culturel incluant ses symboles religieux permet, malgré les obstacles, de se relever et de se tenir debout dans la beauté et dans la fierté.

Cet article a été publié le 8 avril 2024 pour souligner le 326e anniversaire de la fondation de la Côte-des-Neiges (8 avril 1698). Nous nous souviendrons que ce jour même, une semaine après le lundi de Pâques, il y eut une éclipse totale de soleil dans la Côte-des-Neiges, comme dans la Passion, le jour où Jésus mourut sur la croix. De plus, le 8 avril correspond aussi en 2024 à la fête de l’Annonciation, commémorant l’annonce de la maternité de Marie par l’ange Gabriel.

Espérons que, tout comme Jésus, cette croix de chemin sortira des ténèbres en réapparaissant plus tard dans toute sa splendeur et sa beauté. Espérons que le cycle de la vie de cette croix continuera en la faisant renaître encore plus belle, grâce à la foi et à la fierté que nous avons envers notre patrimoine et grâce au respect que nous portons envers notre culture.

Tout comme cette croix de chemin qui en est le symbole religieux, le patrimoine est notre héritage historique. Compte tenu de sa valeur culturelle, il est important de conserver notre patrimoine et de le préserver pour éviter que son histoire s’efface avec le temps.

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Delvida Daoust (1890-1960)

Par Sylvain Rousseau - septembre 2024

Delvida Daoust a marqué l’histoire de la Côte-des-Neiges. Il symbolise le parfait cultivateur qui a réussi à se distinguer dans sa communauté en faisant rayonner son métier.  Il est originaire de la région de Valleyfield, comme mon grand-père Antonin qui était à peu près du même âge. Ils ont d’ailleurs un lien de parenté à travers leurs ancêtres de la famille Bergevin de Valleyfield. Tout comme mon grand-père, Delvida viendra s’installer dans le secteur de la Côte-des-Neiges où il épousera une fille d’une grande famille locale, Marie-Louise Fortier, en 1913, à la toute nouvelle paroisse Saint-Pascal-Baylon.

Sa relation avec Marie-Louise Fortier, dont la famille était solidement ancrée localement, amena Delvida à s’installer au nord de la Côte-des-Neiges, là où se trouvaient les terres ancestrales de Félix et de Louis Fortier. Il faut noter qu’à cette époque, la rue de Nancy, située près de l’intersection du chemin de la Côte-des-Neiges et du boulevard Jean-Talon, s’appelait la rue Fortier, ce qui soulignait l’importance de la présence familiale dans ce secteur.

Delvida s’installe donc dans une ferme de Ville Mont-Royal (anciennement Ville Saint-Laurent) sur une ancienne terre de la famille Fortier adjacente au territoire de la Côte-des-Neiges (cartes de 1940). Le point blanc sur l’image de gauche détermine l’emplacement de cette ferme sur le chemin Saint-Laurent devenu aujourd’hui le chemin Lucerne. Notez au nord de la ferme, vis-à-vis du chiffre 1517, la présence de l’hippodrome de Ville Mont-Royal (de forme particulière) en vert. La flèche blanche sur l’image de droite pointe vers le bâtiment principal de la ferme (en bleu) qui était en pierre, alors que les bâtiments secondaires (en jaune) étaient en bois.  Le chemin Lucerne, qui se trouvait dans le prolongement du chemin de la Côte-des-Neiges, constituait une artère principale reliant Montréal à Ville Saint-Laurent et à la route 11 des Laurentides, en passant par Cartierville.

En arrivant dans ce secteur, au nord de la Côte-des-Neiges, Delvida se rapprocha de sa grande sœur Clémentine qui avait épousé Alphonse Boileau en 1897 dans le secteur sud de la Côte-des-Neiges (paroisse Notre-Dame-des-Neiges).  Alphonse était le fils de François-Xavier Boileau, corroyeur, tanneur et premier pompier de la Côte-des-Neiges.  En 1911, il vivait avec Clémentine Daoust sur l’avenue Gatineau. Il était marchand de grain, de bois et de charbon, des denrées très utiles dans la vie courante. Germain Lefebvre, un membre de notre société, qui est descendant de la famille Boileau, nous mentionnait que la famille Boileau cultivait une terre louée à la famille Desrosiers, le long de l’actuelle rue Jean-Brillant, derrière le Collège Notre-Dame et l’église Notre-Dame-des-Neiges. Jadis, la partie nord de cette grande terre appartenait à Calixte Cardinal.   

De son côté, Delvida développera une expertise en agriculture qui l’amènera à améliorer la qualité et la productivité de ses récoltes, incluant la culture du fameux melon de Montréal qui exigeait des soins particuliers (photo plus haut).

Delvida fut chargé d’organiser l’exposition agricole de Montréal, en 1937, qui aura lieu à Kings Park (hippodrome de Ville Mont-Royal identifié sur la carte précédente), juste au nord de sa ferme, au coin du chemin Lucerne et de l’actuelle autoroute métropolitaine. Lors de ces expositions, des prix étaient remis aux cultivateurs qui réussissaient à se distinguer dans les diverses catégories mettant en valeur leur production agricole et leur bétail, incluant les chevaux de trait comme le cheval de race canadienne et le fameux percheron de la famille Dawes (image de la brasserie Dawes).

Sur cette image (plus bas), on le voit présentant fièrement des pieds de céleri d’une hauteur de 22 pouces. De toute évidence, il aimait mettre en valeur le fruit du travail agricole.  On dit que sa ferme comptait 17 arpents en culture et qu’il employa jusqu'à 20 personnes dans les années 1940. On y produisait surtout du melon, du céleri, du concombre, de la tomate et du chou. Une partie des récoltes était vendue dans un kiosque situé sur le chemin Lucerne près de la ferme, alors que le reste était surtout écoulé à Montréal, au marché Bonsecours (photo).

Vers la fin des années 1940, Delvida deviendra président de l’Association des jardiniers-maraîchers de la région de Montréal. Dans le cadre de ce regroupement collectif, il fera des recommandations aux élus pour améliorer les conditions des maraîchers de Montréal, tant au niveau de la productivité de leurs récoltes que du commerce de leurs produits. C’est ainsi qu’il proposa notamment la création d’un marché central pour remplacer le marché Bonsecours et l’abolition des péages sur les ponts Victoria et Jacques-Cartier. Au moins une de ses revendications fut réalisée avant son décès, car le Marché Central fut construit en 1955, au nord du boulevard métropolitain, à l’est du boulevard de l’Acadie (photos). Par contre, ce n’est qu’en 1962, soit après son décès, que les péages furent abolis sur les deux ponts, favorisant ainsi le transport des produits maraîchers de la rive sud vers le Marché Central de Montréal.

 

Roger Daoust, le fils de Delvida, fut baptisé en 1929 à l’église Saint-Pascal-Baylon. Son parrain était Lucien Boileau, fils d’Alphonse Boileau et de Clémentine Daoust de la paroisse Notre-Dame-des-Neiges. C’est Roger Daoust qui prit en main la réfection de la croix de chemin Fortier-Daoust (photos) située dans la Côte-des-Neiges, au coin du boulevard Jean-Talon et du chemin Lucerne.

 

Cette croix avait été érigée dans le secteur vers 1900, probablement sur les terres de la famille Fortier, avant même que l’église Saint-Pascal-Baylon soit construite. Elle permettait aux cultivateurs, comme ceux travaillant à la ferme des Daoust, d’aller se recueillir à proximité de leur lieu de travail.

 

À part la croix de chemin, qui est en réparation depuis février 2024, il reste peu de preuves tangibles de la présence des familles Daoust et Fortier dans le paysage environnant.  C’est pourquoi la municipalité de Ville Mont-Royal a aménagé un parc inauguré en septembre 2017.  Madame Irène Daoust (née Pinsonneault), épouse de Roger Daoust, et sa fille Jocelyne (photo) étaient présentes afin de célébrer la transformation réussie de cet espace public. 

Le nom de ce parc, situé à l'angle du chemin Lucerne et de l'avenue Glengarry, rappelle le souvenir de Delvida Daoust (1890-1960), dernier maraîcher à avoir exercé des activités agricoles à Ville Mont-Royal. Il souligne aussi l’héritage laissé par cette famille pour appuyer et mettre en valeur le travail des cultivateurs de toute la région de Montréal.

 

Sources :

BAnQ

Archives de La Presse

Le Marché Bonsecours – Au fil de l’évolution de Montréal :

https://www.marchebonsecours.qc.ca/fr/historique.html

Gouvernement du Québec, Commission de toponymie - Parc Daoust :

https://toponymie.gouv.qc.ca/ct/ToposWeb/fiche.aspx?no_seq=429201

Station Mont-Royal – Le parc Daoust inauguré, 27 septembre 2017 :

https://stationmontroyal.com/nouvelles/vie-municipale/le-parc-daoust-inaugure

Les croix de chemin au Québec – Un patrimoine à découvrir, 22 août 2024 :

https://www.patrimoineduquebec.com/ajouts/2024/08/22/la-croix-fortier-daoust-conclusion/

 

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Alphonse Cardinal (1888-1944)  

Par Sylvain Rousseau - septembre 2024

Alphonse Cardinal (ci-après J. Alphonse) est le grand-père de Pierre Cardinal, membre de la Société d’histoire. En 1931, J. Alphonse demeurait avec son épouse, Flavienne Décarie (photos), dans une maison (encerclée en blanc sur la carte de 1940) située sur le chemin de la Côte-des-Neiges, au nord du chemin de la Côte-Sainte-Catherine. On peut voir une photo de cette maison avec celle de son frère Édouard (à sa droite), ainsi qu’une photo des champs et des serres prise à l’arrière de ces maisons (près de l’avenue Ellendale et de la Place Decelles), avec une vue vers le nord-ouest qui nous laisse voir au loin le clocher de l’église Saint-Pascal-Baylon.  

Sur la carte de 1879, cette terre (no 1) appartenait à Alexandre (ou Augustin) Desmarchais avant qu’elle soit rachetée par Joseph Cardinal, l’ancêtre de J. Alphonse et d’Édouard. À cette époque, Joseph Cardinal avait des terres (nos 2) plus au nord, le long du futur chemin de fer du Canadien Pacifique, alors que Calixte Cardinal avait une terre (no 3) derrière l’emplacement de l’église Notre-Dame-des-Neiges actuelle.

Le père de Joseph et de Calixte, Joseph Dominique, qui était tanneur à Saint-Henri, vint s'installer dans la Côte-des-Neiges vers 1825.  Joseph eut trois fils, Alphonse, François-Xavier et Victor (arbre généalogique).

Alphonse s’installa sur le chemin de la Côte-des-Neiges près de la rue Goyer (no 2), en face de la terre de la famille Legaré (emplacement actuel de la Plaza Côte-des-Neiges), alors que François-Xavier (père de J. Alphonse) et Victor s’installèrent près du chemin de la Côte-Sainte-Catherine, sur l’ancien terrain des Desmarchais (no 1), tel que décrit plus haut. 

On peut voir une photo de J. Alphonse Cardinal (à gauche) avec son frère Édouard (au centre) et son père François-Xavier (à droite) dans leur champ de melons situé à cet endroit. Sur la photo du bas, on aperçoit le camion du jardinier Édouard Cardinal avec ses fils.

Les melons de Montréal étaient précieux, car ils exigeaient beaucoup d’attention tout au long de leur culture.  Sur cette photo, on observe les melons qui sont soigneusement déposés dans des paniers rembourrés avec du foin.

La niche à droite porte l’inscription « Gare au chien » pour probablement éloigner ceux qui seraient tentés de dérober ce précieux melon qui se vendait à prix d’or à New York et à Boston.  

Nous avons retracé cette photo de la maison d’Alphonse Cardinal, un des oncles de J. Alphonse.  La photo a probablement été prise lors des funérailles de son épouse Marie-Geneviève Décarie, en 1945. Cette maison (sur un des terrains no 2), située plus près de l’église Saint-Pascal-Baylon, est encerclée en blanc sur la carte de 1940.

Victor Cardinal, l’autre oncle de J. Alphonse, avait de grandes serres juste à côté de chez lui (photo). La photo a été prise d’une fenêtre située à l’arrière de la maison de Victor Cardinal.  La vue du photographe est pointée par la flèche blanche sur la carte de 1940. La cheminée expulsait la fumée émise par la combustion du charbon qui servait à chauffer les serres.

La famille Cardinal a marqué l’histoire de la Côte-des-Neiges, tout comme l’ont fait les familles Desmarchais et Lacombe, en travaillant dans ses tanneries et en cultivant ses terres pour produire des fruits, des légumes et des fleurs pendant plus de 150 ans.

 

Sources :

BAnQ

Archives de la ville de Montréal

Archives de la famille Cardinal

Ancestry – Arbre Rousseau - Massicotte

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Jérémie Legaré (1834-1912)

Par Sylvain Rousseau - septembre 2024

Les terres de Jérémie Legaré se trouvaient du côté ouest du chemin de la Côte-des-Neiges (no 2). Or, c’est plutôt du côté est que j’ai retrouvé la maison de Jérémie Legaré et de son épouse Geneviève Bertelle (photos). En effet, en observant la configuration de la maison avec une serre annexée sur la carte de 1912, j’ai retracé ces bâtiments (no 1) juste en face sur une ancienne terre du tanneur et cultivateur Alexis Bigras. En 1912, Paul-Émile Legaré, fils de Jérémie, habitait précisément à cet endroit du 1725 chemin de la Côte-des-Neiges au coin de la Côte Saint-Joseph (rue Goyer). À mon avis, ceci vient valider la localisation de la maison que l’on voit sur la photo. Ce serait donc à cet endroit qu’auraient vécu Jérémie Legaré et son épouse avant que leur petit fils Paul-Émile s'y installe. En fait, Jérémie et son épouse laissèrent progressivement leurs terres à leurs descendants et s'installèrent sur un autre terrain juste au sud-ouest du coin des chemins de la Côte-des-Neiges et de la Côte-Sainte-Catherine. À la fin avril 1912, le couple décèdera à quelques jours d’intervalle.

 

Vers la fin du 19e siècle, Camille Legaré, son fils, se fera construire une maison (photo) juste en face. Derrière cette nouvelle maison, il aménagera de grandes serres (photo et no 2 sur la carte de 1912) qui se trouveraient aujourd’hui sur le site de la Plaza Côte-des-Neiges. Les champs de son père serviront dorénavant à implanter à grande échelle un nouveau type de culture que son père avait expérimenté avec succès : la culture sous verre.     

 

La famille Legaré y cultivera notamment des fleurs (photo), des légumes et des fines herbes.

 

Les serres de Camille Legaré étaient munies d’installations permettant le chauffage et l’alimentation en eau. Sur la photo de gauche, on voit un château d’eau dont l’eau était acheminée par pompage à l’aide du moulin à eau situé au premier plan. Sur la photo de droite, on aperçoit Camille Legaré devant de grosses bouilloires au charbon qui permettaient de réchauffer les serres à l’aide de tuyaux où circulait de la vapeur.

 

En fait, au début du 20e siècle, Camille Legaré fut le premier cultivateur du Québec à installer des serres de type commercial. Cet horticulteur a développé le métier de primeuriste à grande échelle, ce qui exige des connaissances tant industrielles qu’agricoles, compte tenu de l’importance de générer de la vapeur et de distribuer l’eau et la vapeur dans de grandes serres de 500 pieds de long. Avec deux de ses fils, Émile et Joseph, et une trentaine d’employés (photo), Camille travaillait dans ses sept serres pour produire principalement des légumes et des fines herbes. 

Au journaliste Émile Benoist, du journal Le Devoir, qui effectuait une visite des serres en 1924 et qui était impressionné par la diversité et la quantité des produits cultivés sous verre, Camille mentionna tout simplement : « C’est un gros mangeur, Montréal ».

 

« C’est un gros mangeur, Montréal »

 Camille Legaré

En 1906, son autre fils, Arthur, aménagea trois nouvelles serres pour cultiver toutes sortes de variétés de fleurs (photo). Cette entreprise familiale écoulait principalement sa marchandise au marché Bonsecours de Montréal. C’est là qu’à partir de 1919, Roméo Charette ira vendre les produits des Legaré. Il exploitera, par la suite, différentes fermes de la région. Roméo Charette fut le dernier jardinier-maraîcher de la Côte-des-Neiges. Il mettra fin à ses activités en 1955. Sa maison de ferme était alors située au coin des avenues Barclay et Darlington. Un parc situé à l’intersection du boulevard Jean-Talon et du chemin de la Côte-des-Neiges a été nommé en son honneur.

La carte de 1940 représente, avec plus de détails, les serres de la famille Legaré. Vous pouvez y voir la maison principale de l’entreprise ayant appartenu à Camille et à son fils Joseph (no 1). La maison d’Arthur (no 2) était située plus au nord sur le chemin de la Côte-des-Neiges, avec ses serres de fleurs à l’arrière. En 1940, à la suite du décès d’Arthur, sa veuve, Anna Cardinal, continuera de vivre dans cette maison située juste en face de celle de sa mère Marie-Geneviève Décarie, elle-même veuve d’Alphonse Cardinal.  On peut aussi localiser le moulin à eau (no 3) qui permet de pomper l’eau dans le château d’eau, ainsi que les bouilloires au charbon (no 4) servant de centrales thermiques pour chauffer les serres à la vapeur. 

La famille de Jérémie Legaré a été une pionnière dans le domaine de la culture en serres commerciales, ce qui a permis non seulement d’approvisionner l’île de Montréal, mais aussi de développer une expertise locale qui contribue encore aujourd’hui à diminuer significativement les importations nationales en provenance des États-Unis. Ce désir de produire localement et efficacement des denrées fraîches demeure plus que jamais d’actualité. Il y a déjà plus de 125 ans, les Legaré ont tracé le chemin de l’autonomie alimentaire. Pour souligner l’implication de cette famille dans sa communauté et pour en perpétuer le souvenir, la Ville de Montréal a nommé, en son honneur, la rue Légaré dont le tracé passe juste à l’arrière des anciennes serres familiales. 

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